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RFC 7613: Preparation, Enforcement, and Comparison of Internationalized Strings Representing Usernames and Passwords

Date de publication du RFC : Août 2015
Auteur(s) du RFC : P. Saint-Andre (&yet), A. Melnikov (Isode)
Chemin des normes
Réalisé dans le cadre du groupe de travail IETF precis
Première rédaction de cet article le 29 août 2015


Ah, les plaisirs de l'internationalisation du logiciel... Quand l'informatique ne concernait que les États-Unis, tout était simple. Un utilisateur ne pouvait avoir un nom (un login) que composé des lettres de l'alphabet latin (et même chose pour son mot de passe). Mais de nos jours, il n'est pas acceptable de se limiter au RFC 20. Il faut que Пу́тин ou 艾未未 puissent écrire leur nom dans leur écriture et l'informatique doit suivre. La première tentative de normaliser ces noms d'utilisateur en Unicode, dans le RFC 4013 n'avait pas été un immense succès et elle est désormais remplacée par une approche un peu différente, décrite dans ce nouveau RFC, qui a depuis été remplacé par le RFC 8265.

Mais pourquoi faut-il standardiser quelque chose ? Pourquoi ne pas dire simplement « les noms d'utilisateur sont en Unicode » et basta ? Parce que les logiciels qui gèrent noms d'utilisateurs et mots de passe ont besoin de les manipuler, notamment de les comparer. Si ПУ́ТИН essaie de se loguer, et que la base de données contient un utilisateur пу́тин, il faut bien déterminer si c'est le même utilisateur (ici, oui, à part la casse). C'est en général assez simple dans l'alphabet latin (ou dans le cyrillique utilisé pour les exemples) mais il y a d'autres cas plus vicieux qui nécessitent quelques règles supplémentaires.

Le RFC 4013, qui était fondé sur le cadre du RFC 3454 visait à décrire ces règles. Mais l'approche utilisée n'a pas accroché (en partie parce qu'elle était liée à une version d'Unicode particulière) et le défunt stringprep du RFC 3454 a été remplacé par un nouveau cadre, celui du RFC 7564. Notre nouveau RFC 7613 est l'adaptation de ce RFC 7564 au cas spécifique des noms d'utilisateur et des mots de passe.

Ces noms et ces mots de passe (aujourd'hui, il faudrait plutôt dire phrases de passe) sont largement utilisés pour l'authentification, soit directement (SASL PLAIN du RFC 4616, authentification de base de HTTP du RFC 7617), ou bien comme entrée d'une fonction de condensation cryptographique (SASL SCRAM du RFC 5802 ou bien authentification HTTP digest du RFC 7616). L'idée est que les opérations de base sur ces noms (et sur les mots de passe) ne surprennent pas excessivement l'utilisateur, quel que soit son pays, sa langue, sa culture. Un Français ou un Belge ne sera probablement pas trop étonné que Dupont soit accepté comme synonyme de dupont mais il le serait davantage si dupond l'était. Évidemment, la tâche est impossible (les utilisateurs sont tous différents) mais l'idée est de ne pas faire un système parfait mais un système qui marche la plupart du temps.

C'est là qu'intervient le cadre PRECIS (PReparation, Enforcement, and Comparison of Internationalized Strings) du RFC 7564. Il évite que chaque développeur d'un système d'authentification doive lire et comprendre toutes les conséquences d'Unicode, et lui permet de s'appuyer sur une analyse déjà faite. Un exemple de piège d'Unicode (et qui montre pourquoi « on va juste dire que les noms d'utilisateur peuvent être n'importe quel caractère Unicode » est sans doute une mauvaise politique) est le chiffre 1 en exposant, U+00B9 (comme ça : « ¹ » Si vous ne voyez rien, c'est parce que votre logiciel ne sait pas afficher ce caractère. Vous pouvez toujours regarder le source HTML pour comprendre l'exemple.). Doit-on l'autoriser ? Le mettre en correspondance avec le 1 traditionnel de façon à ce que user¹ et user1 soient le même nom ? Imaginez un client XMPP qui vous dise « user¹@example.com veut être votre copain. Je l'autorise ? » et que vous acceptiez en croyant que c'était user1@example.com. Bien sûr, on ne peut pas réellement parler d'« attaque » dans ce cas, une telle erreur permettrait juste de faire quelques farces mais, pour le logiciel qui vérifie une identité, des confusions seraient plus gênantes. Si les « attaques » exploitant la similitude de caractères Unicode sont surtout un fantasme d'informaticien anglophone n'ayant jamais réellement accepté l'internationalisation (plutôt qu'une réalité du terrain), il est quand même plus prudent de supprimer quelques causes de cafouillage le plus tôt possible.

Je l'ai dit plus haut, ce nouveau RFC met fin au profil SASLprep du RFC 4013 mais les protocoles qui l'utilisaient ne sont pas mis à jour automatiquement, ils devront publier une nouvelle version de leur norme (comme le RFC 7622 pour XMPP).

Notre RFC compte deux sections importantes, décrivant le profil PRECIS pour les noms d'utilisateur (section 3) et les mots de passe (section 4). Commençons par les noms d'utilisateur. Un nom est une chaîne de caractères Unicode composée de parties séparées par des espaces. Chaque partie doit être une instance de IdentifierClass et est normalisée en NFC. L'encodage doit être UTF-8. Pourquoi cette notion de « parties séparées par des espaces » ? Parce que la classe IdentifierClass du RFC 7564 ne permet pas les espaces, ce qui est gênant pour certains identificateurs (« Prénom Nom » par exemple, cf. section 3.5). D'où la grammaire de la section 3.1 :

      username   = userpart *(1*SP userpart)
    

qui dit « un nom d'utilisateur est composé d'au moins une partie, les parties étant séparées par un nombre quelconque d'espaces ». Une des conséquences de cette grammaire étant que le nombre d'espaces n'est pas significatif : Jean Dupont et Jean Dupont sont le même identificateur.

Chaque partie étant une instance de l'IdentifierClass du RFC 7564, les caractères interdits par cette classe sont donc interdits pour les noms d'utilisateurs. Une application donnée peut restreindre (mais pas étendre) ce profil. Ces noms d'utilisateurs sont-ils sensibles à la casse ? Ce fut l'un des deux gros débats dans le groupe de travail PRECIS, puisque certains protocoles ont fait un choix et d'autres le choix opposé (l'autre gros débat concernait - bien à tort - un problème subtil et peu important sur les conséquences des changements dans les nouvelles versions d'Unicode). Eh bien, il y a désormais deux sous-profils, un sensible et un insensible. Les protocoles et applications utilisant ce RFC 7613 devront annoncer clairement lequel ils utilisent. Et les bibliothèques logicielles manipulant ces utilisateurs auront probablement une option pour indiquer le sous-profil à utiliser.

Le sous-profil UsernameCaseMapped rajoute donc une règle de préparation des chaînes de caractères : tout passer en minuscules (avant les comparaisons, les condensations cryptographiques, etc), en utilisant l'algorithme Case Folding d'Unicode (oui, changer la casse est bien plus compliqué en Unicode qu'en ASCII). Une fois la préparation faite, on peut comparer octet par octet (rappelez-vous que la chaîne doit être en UTF-8).

L'autre sous-profil, UsernameCasePreserved ne change pas la casse, comme son nom l'indique. ПУ́ТИН et пу́тин y sont donc deux identificateurs différents. C'est la seule différence entre les deux sous-profils. Notre RFC recommande le profil insensible à la casse, UsernameCaseMapped, pour éviter des surprises comme celles décrites dans le RFC 6943 (cf. section 8.2 de notre RFC).

Bon, tout ça est bien nébuleux et vous préféreriez des exemples ? Le RFC nous en fournit. D'abord, des identificateurs peut-être surprenants mais légaux (légaux par rapport à PRECIS : certains protocoles peuvent mettre des restrictions supplémentaires). Attention, pour bien les voir, il vous faut un navigateur Unicode, avec toutes les polices nécessaires :

  • juliet@example.com : le @ est autorisé donc un JID (identificateur XMPP) est légal.
  • fussball : un nom d'utilisateur traditionnel, purement ASCII, qui passera partout, même sur les systèmes les plus antédiluviens.
  • fußball : presque le même mais avec un peu d'Unicode. Bien qu'en allemand, on traite en général ces deux identificateurs comme identiques, pour PRECIS, ils sont différents. Si on veut éviter de la confusion aux germanophones, on peut interdire la création d'un des deux identificateurs si l'autre existe déjà : PRECIS ne donne que des règles miminales, on a toujours droit à sa propre politique derrière.
  • π : entièrement en Unicode, une lettre.
  • Σ : une lettre majuscule.
  • σ : la même en minuscule. Cet identificateur et le précédent seront identiques si on utilise le profil UsernameCaseMapped et différents si on utilise le profil UsernameCasePreserved.
  • ς : la même, lorsqu'elle est en fin de mot. Le cas de ce sigma final est compliqué, PRECIS ne tente pas de le résoudre. Comme pour le eszett plus haut, vous pouvez toujours ajouter des règles locales.

Par contre, ces noms d'utilisateurs ne sont pas valides :

  • Une chaîne de caractères vide.
  • HenriⅣ : le chiffre romain 4 à la fin est illégal (car il a ce qu'Unicode appelle « un équivalent en compatibilité », la chaîne « IV »).
  •  : seules les lettres sont acceptées, pas les symboles (même règle que pour les noms de domaine).

Continuons avec les mots de passe (section 4). Comme les noms, le mot de passe est une chaîne de caractères Unicode. Il doit être une instance de FreeformClass. Cette classe autorise bien plus de caractères que pour les noms d'utilisateur, ce qui est logique : un mot de passe doit avoir beaucoup d'entropie. Peu de caractères sont donc interdits (parmi eux, les caractères de contrôle, voir l'exemple plus bas). Les mots de passe sont sensibles à la casse. L'encodage doit être UTF-8.

Des exemples ? Légaux, d'abord :

  • correct horse battery staple : vous avez reconnu un fameux dessin de XKCD.
  • Correct Horse Battery Staple : les mots de passe sont sensibles à la casse, donc c'est un mot de passe différent du précédent.
  • πßå : un mot de passe en Unicode ne pose pas de problème.
  • Jack of ♦s : et les symboles sont acceptés, contrairement à ce qui se passe pour les noms d'utilisateur.
  • foo bar : le truc qui ressemble à un trait est l'espace de l'Ogham, qui doit normalement être normalisé en un espace ordinaire, donc ce mot de passe est équivalent à foo bar.

Par contre, ce mot de passe n'est pas valide :

Rappelez-vous que ces profils PRECIS ne spécifient que des règles minimales. Un protocole utilisant ce RFC peut ajouter d'autres restrictions (section 5). Par exemple, il peut imposer une longueur minimale à un mot de passe (la grammaire de la section 4.1 n'autorise pas les mots de passe vides mais elle autorise ceux d'un seul caractère, ce qui serait évidemment insuffisant pour la sécurité), une longueur maximale à un nom d'utilisateur, interdire certains caractères qui sont spéciaux pour ce protocole, etc.

Certains profils de PRECIS suggèrent d'être laxiste en acceptant certains caractères ou certaines variantes dans la façon d'écrire un mot (accepter strasse pour straße ? C'est ce qu'on nomme le principe de robustesse.) Mais notre RFC dit que c'est une mauvaise idée pour des mots utilisés dans la sécurité, comme ici (voir RFC 6943).

Comme toutes les fois qu'on change les règles, il faut se préoccuper de la migration depuis l'ancien système (c'est la section 6 du RFC). Si vous aviez déjà des noms d'utilisateur en Unicode en suivant l'ancien système SASLprep, celui du RFC 4013, il va falloir examiner votre base de données et peut-être faire des conversions. Pour les noms, il y a notamment le fait que SASLprep utilisait la normalisation Unicode NFKC alors que PRECIS se sert de NFC. Ce n'est pas forcément si grave que ça car PRECIS interdit les lettres ayant un équivalent de compatibilité, les seules qui sont traitées différemment par NFKC et NFC. Il est donc recommandé d'examiner la base et de repérer des noms ayant un de ces équivalents.

Pour les mots de passe, c'est plus compliqué puisque, si vous êtes sérieux, vous ne les stockez pas en clair, et vous ne pouvez donc pas les examiner. Disons que si un utilisateur qui a utilisé toutes les possibilités rigolotes d'Unicode n'arrive pas à s'authentifier après la migration, il faudra penser à ce problème.

Les profils PRECIS ont été ajoutés au registre IANA (section 7 de notre RFC).

Un petit mot sur la sécurité et on a fini. La section 8 de notre RFC revient sur quelques points difficiles. Notamment, est-ce une bonne idée d'utiliser Unicode pour les mots de passe ? Ça se discute. D'un côté, cela augmente les possibilités (en simplifiant les hypothèses, avec un mot de passe de 8 caractères, on passe de 10^15 à 10^39 possibilités en permettant Unicode et plus seulement ASCII), donc l'entropie. D'un autre, cela rend plus compliqué la saisie du mot de passe, surtout sur un clavier avec lequel l'utilisateur n'est pas familier. Le monde est imparfait et il faut choisir le moindre mal...

Enfin, un résumé des changements depuis l'ancienne technique, celle du RFC 4013, figure dans l'annexe A. Il rappelle que l'ancien stringprep/SASLprep est remplacé par une approche vraiment différente, même si, dans les cas « normaux », le résultat sera le même. Par exemple, stringprep (RFC 3454) autorisait tous les caractères sauf ceux qui étaient interdits alors que PRECIS, comme le fait IDN depuis la nouvelle norme RFC 5891, fait l'inverse (tout ce qui n'est pas autorisé est interdit). Pour résumer les autres principaux changements :

  • Il n'y avait qu'un seul algorithme de préparation et de comparaison dans SASLprep, il y en a désormais trois (noms sensibles à la casse, noms insensibles à la casse, mots de passe).
  • Indépendance vis-à-vis de la version d'Unicode.
  • Normalisation NFC et plus NFKC.

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