Je suis Charlie

Autres trucs

Accueil

Seulement les RFC

Seulement les fiches de lecture

Mon livre « Cyberstructure »

Ève

RFC 9547: Report from the IAB Workshop on Environmental Impact of Internet Applications and Systems, 2022

Date de publication du RFC : Février 2024
Auteur(s) du RFC : J. Arkko, C. S. Perkins, S. Krishnan
Pour information
Première rédaction de cet article le 24 avril 2024


La question de l'empreinte environnementale du numérique suscite beaucoup de débats. L'IAB avait organisé en décembre 2022 un atelier sur le cas de l'empreinte environnementale de l'Internet dont ce RFC est le compte-rendu (tardif, oui, je sais, mais mon propre article de résumé du RFC est aussi en retard).

Le sujet est très complexe, relativement nouveau, et surtout noyé sous beaucoup d'approximations, voire de franches bêtises (l'ADEME s'en est fait une spécialité, avec des chiffres tirés du chapeau et à la méthodologie inconnue). Il y a donc du travail sur la planche. L'IAB commence par estimer que l'Internet a certes une empreinte environnementale mais peut aussi servir à diminuer l'empreinte environnementale globale, ce qui n'est franchement pas étayé (le RFC cite l'exemple de réunions physiques remplacées par des réunions en ligne, sans citer de calcul détaillé qui permettrait de voir s'il y a vraiment un gain, et en oubliant que de toute façon une réunion en ligne ne rend pas les mêmes services). Mais l'IAB note aussi que l'Internet a des effets indirects, et pas forcément positifs : il cite l'exemple de l'augmentation de la consommation de biens matériels que produit le commerce en ligne.

Clairement, l'Internet n'est pas virtuel, contrairement à ce que prétend le marketing qui abuse de termes comme cloud pour faire croire que le numérique est immatériel. A contrario, l'Internet dépend de machines, de l'électricité (et des humains qui font fonctionner ces machines). Que peut-on faire pour diminuer l'empreinte environnementale de l'Internet ? (Sans pour autant suivre les conseils débiles de l'ADEME, comme de supprimer ses messages.)

Comme tous les ateliers de l'IAB, celui-ci a fonctionné en demandant aux participants des position papers expliquant leur point de vue. Ne participent à l'atelier que des gens ayant écrit un de ces articles, ce qui garantit que tout le monde a dû travailler le sujet. Ces articles sont disponibles en ligne, plus exactement à cet endroit. (Tous les documents liés à cet atelier sont également disponibles.) Parmi les papiers acceptés :

La section 2 du RFC détaille les sujets qui étaient dans le programme de l'atelier :

  • Les impacts environnementaux directs de l'Internet (consommation électrique des machines, des routeurs aux serveurs en passant par les machines terminales, refroidissement, fabrication des machines, et leur traitement final, souvent oublié dans les études),
  • Les impacts indirects de l'Internet, provenant des effets qu'il a sur la société,
  • Les métriques (souvent très maltraitées dans les artcles parlant de l'empreinte environnementale du numérique, par exemple en confondant énergie et puissance), un sujet crucial puisqu'on ne peut pas améliorer ce qu'on ne peut pas mesurer,
  • Les questions non techniques, comme les enjeux financiers ou comme la régulation,
  • Les questions techniques où l'IETF pourrait travailler pour améliorer les choses (par exemple, mais non cité par le RFC, annoncer dans les réponses HTTP le coût environnemental de la requête),
  • Mais aussi les questions liées aux usages et aux utilisateurices, qui sont souvent sollicités, mais en général de manière culpabilisatrice (« regardez les vidéos en basse définition et pas de porno »).

Ah et, si vous vous le demandez, l'atelier a été entièrement en ligne (section 2.1 du RFC).

La première des quatre sessions de l'atelier essayait d'aborder le problème de manière générale. Le problème du réchauffement climatique est évidemment bien plus vaste que l'Internet seul et n'a pas de solution simple et unique. Et les solutions ne sont pas toutes techniques, donc il y a des limites à ce que l'IETF peut faire (ce qui ne veut pas dire qu'il ne faut rien faire !). Même la publicité est mentionnée dans cette section du RFC, avec un très prudent « davantage d'études sont nécessaires » (opinion personnelle : son attitude au sujet de la publicité est un bon moyen de savoir si votre interlocuteur veut sérieusement lutter contre le réchauffement climatique, ou bien s'il veut juste faire des discours).

Ensuite, deuxième session sur les mesures et la récolte des faits. Par exemple, où sont les gros postes de consommation électrique dans le numérique ? Les serveurs ? Les routeurs ? Les terminaux ? C'est d'autant plus important que le RFC note la quantité de fausses informations qui circulent (citant par exemple un article qui confondait MB/s et Mb/s, soit un facteur 8 de différence). De même, contrairement à ce qui est encore souvent dit, la session a mis en évidence le fait que la consommation électrique n'est pas du tout proportionnelle au trafic. Des phrases comme « envoyer un courrier dégage autant de dioxyde de carbone qu'un vol Paris-Quelquepart » n'ont donc aucun sens. (Un des papiers acceptés, « Towards a power-proportional Internet » expliquait pourquoi il fallait changer cela et comment le faire.) Par contre, les usages impactent la consommation car ils peuvent nécessiter des mises à jour du réseau.

La troisième session regardait du côté des pistes d'amélioration, plus précisement de celles sur lesquelles l'IETF pouvait agir. Le premier point est celui des mesures (insuffisantes et parfois contradictoires). Le deuxième point concernait l'influence de phénomènes comme la gigue (RFC 4689) ou l'élongation du trajet (RFC 7980) sur la consommation énergétique (si on réduit ces phénomènes grâce à de meilleurs protocoles, est-ce qu'on diminue la consommation ?). Parmi les autres optimisations possibles, le choix de meilleurs formats, plus optimisés (CBORRFC 8949 - est cité). Notez qu'un des articles acceptés pour l'atelier faisait le point sur toutes les activités de l'IETF liées à l'énergie, draft-eckert-ietf-and-energy-overview.

Et la quatrième et dernière session portait sur les étapes suivantes du travail ; en résumé, il y a du travail et, même si l'IETF ne peut pas tout, elle doit en prendre sa part. Il faut toujours garder en tête que le but n'est pas de réduire l'empreinte environnementale de l'Internet mais de réduire celle de l'ensemble de la société. Éteindre l'Internet diminuerait certainement son empreinte environnementale mais pourrait avoir des effets négatifs sur d'autres secteurs, comme les transports. Pour améliorer l'Internet sans le supprimer, plusieurs axes ont été mis en avant :

  • Mesurer, toujours mesurer, on manque d'informations,
  • Pouvoir diminuer la consommation quand il n'y a pas de travail en cours, voire hiberner, serait utile (comme dans beaucoup de cas, le problème est complexe : un routeur ne peut pas hiberner car il ne sait pas quand arrivera le prochain paquet, et il ne peut pas se réveiller instantanément),
  • Adopter de meilleurs formats de données. Comme le disait un des articles présentés, « CBOR est plus vert ».

Et les actions concrètes (section 2.4.3) ?

  • Faut-il imposer dans chaque RFC une section Environmental considerations comme il y a déjà une Security considerations obligatoire ? (La question s'était déjà posée pour une éventuelle Human rights considerations.) Pour l'instant, ce n'est pas prévu notamment parce que, dans l'état actuel des choses, la plupart des auteurs de RFC n'ont pas de connaissances suffisamment approfondies ur le sujet pour écrire une section utile.
  • Plusieurs groupes à l'IETF sont déjà au travail sur ce sujet environnemental : NMRG travaille sur les métriques (et a, par exemple, un Internet-Draft « Challenges and Opportunities in Management for Green Networking »), même chose à OPSAWG et le nouveau groupe TVR (Time-Variant Routing), comme il travaille sur le routage intermittent, a également un rôle, par exemple lorsqu'on coupe des liens pour économiser de l'énergie. Là, on est pile dans le rôle de l'IETF.
  • Curieusement, le RFC parle aussi d'éviter les NFT, qui ne sont pourtant plus guère à la mode (et n'ont jamais suscité beaucoup d'intérêt à l'IETF, de toute façon). En outre, la plupart d'entre eux tournent sur Ethereum, qui n'utilise plus la preuve de travail et n'est donc pas crucial du point de vue environnemental.

Si vous voulez participer au nouveau programme de l'IAB E-IMPACT, tout est là.

Puisqu'on parlait de la section sur la sécurité qui est obligatoire dans les RFC, notre RFC en a une, qui rappelle que :

  • Tout mécanisme par lequel on donne des pénalités (financières ou bien en terme de diminution des ressources allouées) en fonction de métriques d'empreinte environnementale doit se préparer à ce qu'il y ait des tricheurs (cf. P. McDaniel, « Sustainability is a Security Problem », à la conférence SIGSAC en 2022), qui faussent les mesures pour échapper à ces pénalités.
  • De même, tout mécanisme qui va agir sur le réseau, par exemple pour diminuer l'empreinte environnementale, peut être détourné pour une attaque par déni de service, et doit donc prévoir le problème.

Téléchargez le RFC 9547

Version PDF de cette page (mais vous pouvez aussi imprimer depuis votre navigateur, il y a une feuille de style prévue pour cela)

Source XML de cette page (cette page est distribuée sous les termes de la licence GFDL)